lundi, avril 06, 2015

Texte : Rousseau, Huitième lettre écrite de la Montagne

« On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté. Ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres; et cela ne s’appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre; et régner, c’est obéir. Vos magistrats savent cela mieux que personne : eux qui, comme Othon, n’omettent rien de servile pour commander. (…) Je ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a droit d’opposer de la résistance. Dans la liberté commune, nul n’a droit de faire ce que la liberté d’un autre lui interdit (…) .Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction. (…)

Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois: dans l’état même de nature, l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle, qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas; il a des chefs, et non pas des maîtres; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois; et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu’on donne dans les Républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des lois. Ils en sont les ministres, non les arbitres; ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son Gouvernement, quand, dans celui qui le gouverne, il ne voit point l’homme, mais l’organe de la Loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles; je ne sache rien de plus certain. »

ROUSSEAU, Huitième lettre écrite de la Montagne, 1764

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